Il y a suffisamment d’études aujourd’hui pour savoir que la cigarette électronique diminue considérablement les risques pour la santé, si les fumeurs l’adoptent à 100%, et donc ne fument plus de cigarettes du tout. Mais est-ce encore vrai lorsque les fumeurs gardent l’habitude de fumer quelques cigarettes ?
C’est la question à laquelle s’attaque cette étude publiée en 2021 : vapofumer réduit-il les risques de cancer ? Ses résultats, à nuancer, débouchent sur une conclusion inattendue.
Une question peut en cacher une autre
Cette étude américaine, menée par une équipe de chercheurs du Penn State College of Medicine et de la Virginia Commonwealth University, s’attaque à une question principale :
- Est- que qu’un vapofumeur qui diminue son nombre de cigarettes fumées diminue ses risques de cancer ?
Elle mesure cela par l’évolution de NNAL chez les patients.
Le NNAL est un cancérigène typique de la fumée de tabac, présent dans le sang des fumeurs.
Mais elle s’attaque en même temps à une deuxième question :
- Est-ce que l’usage de la cigarette électronique permet aux fumeurs de réduire leur consommation ?
- Quelle est l’influence du taux de nicotine et de la qualité de la ecigarette sur cette diminution ?
Du coup, cette étude pose problème sur le fond, parce que, nous le verrons, en répondant à deux questions en même temps, elle ne va pas assez loin sur la première. Il n’empêche qu’il y a des informations intéressantes à en tirer, d’autant plus que l’étude est faite sérieusement, et que ses résultats sont solides.
Le protocole de l’étude
Pour étudier cette question, l’équipe a recruté 520 fumeurs de plus de 9 cigarettes par jour, qui ne voulaient pas arrêter de fumer. Ils voulaient seulement diminuer leur consommation, et n’avaient jamais essayé le vapotage.
Les fumeurs sont ensuite répartis en 3 groupes, selon la méthode de randomisation en double aveugle avec groupe de contrôle. Traduction : ni les chercheurs ni les participants ne savent à quel groupe appartiennent les volontaires.
- Le groupe de contrôle reçoit un placebo, soit une cigarette électronique avec un eliquide sans nicotine..
- Le groupe 1 reçoit une e-cigarette et des e-liquides dosés à 8mg/ml
- Le groupe 2 reçoit une e cigarette et des e liquides dosés à 36mg/ml
Ils les ont ensuite laissés librement fumer ou vapoter pendant 24 semaines et ont procédé à des tests urinaires réguliers pour mesurer leur taux de NNAL.
Vapofumer réduit le taux de NNAL
Logiquement, les résultats montrent que les fumeurs du groupe 2 présentaient des niveaux de NNAL significativement inférieurs à ceux du groupe 1, qui eux-mêmes présentaient des niveaux inférieurs au groupe de contrôle (0).
Comment interpréter ce résultat ? La baisse du taux de NNAL permet-elle de conclure sur une diminution du risque de cancer ? Oui mais avec des nuances.
Le risque de cancer apparaît dès la première cigarette
De nombreuses études ont étudié la question des “petits fumeurs”. En particulier, une étude Norvégienne, qui a étudié l’évolution de fumeurs de 1 à 4 cigarettes au long cours, pendant 30 ans. Les résultats sont sans appel : les “petits fumeurs” subissent certes moins de risques que les “gros”, mais considérablement plus que les non-fumeurs :
- Taux de mortalité prématurée 1,5 fois plus élevé,
- 3 fois plus de risque d’infarctus (4 fois pour les “gros fumeurs”).
- 3 fois plus de risque de cancer du poumon pour les hommes et 5 fois plus pour les femmes.
Qu’est-ce que vapofumer ?
Il y a vapofumer et vapofumer.
En débutant le vapotage pour arrêter de fumer, beaucoup de fumeurs sont, de fait, vapofumeur pendant un temps : certaines cigarettes sont plus difficiles à éliminer. Dans ce sens, vapofumer est une étape vers l’arrêt complet, et donc une vraie diminution des risques. C’est une phase normale, qui ne doit pas inquiéter.
Mais vapofumer au quotidien, c’est avant tout, comme dans cette étude, ne pas arrêter de fumer. Conserver durablement quelques cigarettes par jour. De ce point de vue, un vapofumeur est donc un fumeur. Un “petit fumeur”, certes, mais un fumeur, qui s’expose à des risques accrus pour sa santé.
Le propos n’est pas de culpabiliser les vapofumeurs, mais d’éviter un raisonnement fallacieux. “Je fume moins, donc je prends moins de risque” est une affirmation rassurante, mais factuellement fausse, ou du moins très limitée.
Une autre étude (méta analyse) montre en effet que le risque de cancer, par rapport aux non-fumeurs est :
- 15 à 25 fois plus élevé pour ceux qui fument plus de 10 cigarettes
- 12 à 15 fois plus élevé pour ceux qui fument 2 à 10 cigarettes par jour
- 9 fois plus élevé pour ceux qui fument 1 cigarette par jour
La diminution des risques est réelle, mais pas du tout proportionnelle.
Vapofumer durablement, c’est moins fumer, c’est prendre un peu moins de risque, mais le risque reste grand.
L’autre enseignement de l’étude
C’est finalement le résultat le plus important de l’étude, qui affirme que la clé, c’est l’efficacité de la délivrance de nicotine. C’est elle qui permet aux fumeurs de diminuer leur consommation de cigarettes.
Les chercheurs concluent particulièrement sur ce point. Caroline Cobb, professeur agrégé de psychologie à VCU et auteure principale, précise que “lorsque les cigarettes électroniques délivrent efficacement de la nicotine, les fumeurs réussissent mieux à réduire leur tabagisme et leur exposition aux toxiques liés au tabac”.
Elle critique ensuite certaines études sur l’efficacité du vapotage : “des essais contrôlés randomisés antérieurs examinant si les cigarettes électroniques aident les fumeurs à modifier leur comportement tabagique et l’exposition à des substances toxiques ont utilisé des cigarettes électroniques avec des profils d’administration de nicotine faibles ou inconnus (…). Notre étude met en évidence l’importance de caractériser le profil d’administration de nicotine de la cigarette électronique avant de mener un essai contrôlé randomisé.”
De l’importance du taux de nicotine pour arrêter de fumer
Les chercheurs donnent concrètement un conseil que les professionnels de la vape connaissent bien : pour arrêter de fumer avec une cigarette électronique, elle doit délivrer autant de nicotine que les cigarettes.
L’étude montre clairement que le groupe qui vapotait un eliquide en 36mg/ml (en sel de nicotine et avec un pod), diminue beaucoup plus sa consommation que ceux qui sont à 8mg/ml ou pire, sans nicotine.
Le taux de nicotine doit être suffisant pour avoir autant de nicotine avec la cigarette électronique.
Un fait important peut compléter cette analyse. La cigarette de tabac délivre la nicotine très efficacement. Fumer donne ce que les addictologues appellent un shoot : un pic de délivrance de nicotine que le cerveau s’habitue à apprécier, donc à attendre. Ce pic est l’un des facteurs principaux de la dépendance.
Les bonnes cigarettes électroniques, avec un eliquide suffisamment dosé, délivrent aussi un pic, mais loin de celui d’une cigarette. C’est l’une des raisons pour lesquelles les tabacologues constatent qu’il est plus facile de se libérer de la nicotine de la vape que de celle de la cigarette.
Les vapoteurs qui fument une cigarette de temps en temps maintiennent leur dépendance au pic de la cigarette de tabac. La vape leur semble toujours moins satisfaisante que la cigarette. Alors que, quand on vapote exclusivement, elle est suffisante pour ne pas avoir envie de cigarette.
Pour conclure, lorsque vous voulez arrêter de fumer avec une cigarette électronique :
- Ne cherchez surtout pas à diminuer tout de suite votre consommation de nicotine, ce n’est pas le moment. Choisissez un taux qui correspond à votre consommation réelle avec la cigarette de tabac.
- Cela vous permettra aussi d’éliminer plus rapidement les cigarettes de tabac qui résistent, et de commencer à vous libérer de la dépendance au pic de nicotine.
- Alors vous réduirez vraiment les risques pour votre santé, durablement.
Sources :
- L’étude du Penn State College of Medicine
- Etude Norvégienne
- Axa prévention